Ducasse d'Ath: " Ath es bâti su roc." (20/08/2013)

304822659.jpgLe folklore athois, patrimoine immatériel et « universel » de l’aventure humaine. De la vérité historique aux réalités d’aujourd’hui.  Voici un courrier très intéressant de Lucien Cordier

La ducasse d'Ath est inscrite depuis 2008 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l'UNESCO, après sa proclamation en 2005, comme élément des Géants et dragons processionnels de Belgique et de France.

Pour mériter cette reconnaissance de l’UNESCO, il faut impérativement des « universaux » majeurs : des liens fusionnels entre tous les « acteurs » de la cité, un langage universel, une culture partagée, une « pensée élargie » comme celle prônée par Emmanuel Kant, valables pour toutes les civilisations, quelles que soient les époques.

Pour être clair, il faut que les symboles présentés au public expriment les valeurs fondamentales de l’esprit humain : liberté, justice, droit du sol, droit des gens… Une éthique qui coïncide avec l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme promulguée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations unies.

Le premier critère est facile à démontrer ; ainsi, dans notre ville, en période de ducasse règne un climat insaisissable, impalpable, éthéré…, il y a « transcendance dans l’immanence » suivant la formulation classique du philosophe E. Husserl : l’amour passionné des athois vis à vis de leurs géants bat dans leur cœur. Ce patrimoine doit être préservé, ni fossilisé, ni sacralisé. Il doit donc respirer, évoluer avec son temps tout en respectant les traditions, celles qui peuvent servir pour toutes les générations d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Il nous faut donc des archétypes forts, transparents, compréhensibles pour tous les participants, le grand public intra- et extramuros. Il faut qu’une particularité ou mieux une singularité locale puisse tendre à l’universalité ; un message local devient ainsi mondial.

C904_07db1e83f503391a9ad92f0937c89ee3.jpgonsidérons trois postures symboliques : une mythique, Goliath et deux historiques, Ambiorix et Tirant.

Tous les trois sont des combattants pour le droit du sol.

Il est utile de rappeler l’essence religieuse du cortège dédié à Saint-Julien de Brioude et réglementé à la fin du 14e s. par l’archevêque de Cambrai. Aujourd’hui, le fait religieux reste omniprésent ; il se cristallise toujours dans le combat légendaire Goliath-David (vers - 1010 av JC ? – I Samuel XVII).

Goliath, champion des Philistins, conteste David qui veut s’approprier son sol. Combien de fois n’ai-je entendu ce cliché éculé de certains politiques : « La victoire de David est la revanche du petit, du faible vis à vis du grand de force invincible ». Ce poncif est fallacieux car la figure emblématique, c’est Goliath. Il fait face aux Hébreux qui veulent annexer l’ensemble du pays de Canaan. Il est en état de légitime défense. Par contre, David, courtisan du Roi Saül, est un personnage très controversé. N’avait-il pas assouvi sa passion pour Bethsabée en faisant assassiner son mari, le général Urie, dit le Hittite – (II Samuel XI).

Aujourd’hui, ce problème reste toujours d’actualité. Goliath, c’est le palestinien, tyrannisé sur son propre sol à Gaza et en Cisjordanie. Il résiste avec les moyens du bord au sionisme radical, combat inégal car les instances supranationales refusent d’appliquer la résolution 242 de l’ONU. Nous sommes ici, comme aurait dit A. Camus, dans l’absurde. Comment un peuple ayant subi la shoah peut-il trucider un peuple en guenilles ? Il y aura toujours chez moi, dit-il, « une fracture entre ce monde et mon esprit ».

Goliath, le stoïcien, attire toute notre sympathie ; il est le plus grand au propre et au figuré. Il symbolise tous les peuples martyrisés de la planète.

Ambiorix, roi des Eburons, ne se présente plus. Il est le symbole même de la résistance à l’ennemi. N’avait-il pas défait en -54, les légions romaines de Sabinus et de Cotta ; près de 7000 légionnaires périrent dans l’embuscade près de la forteresse d’Atuatuca située peut-être à Tongres ou plus vraisemblablement à Kanne-Caster au sud de Maastricht. C’est la plus grande défaite romaine du « Bellum Gallicum ».

Depuis 1866, sa statue se dresse sur la Grand-Place de Tongres. On peut y observer ses armes, épée portée à gauche (!), une peau d’ours sur l’épaule (!), une hache en pierre (!) (Une aberration au pays des métallurgistes) mais pas d’arc ni untitled.pngde carquois. Ath peut s’enorgueillir d’honorer un tel combattant qui a résisté au proconsul, Jules César, le sanguinaire. Plutarque décrit dans son œuvre, les atrocités du 1e génocide mondial: 1,2 million de victimes, ce qui est vertigineux pour des guerres au corps à corps ; on pense qu’un tiers de la population gauloise aurait été passée par les armes. On est loin de l’hagiographie écrite par César lui-même. La Pax Romana n’existe pas, c’est la guerre.

Le césarisme existe encore lorsqu’il y a rapport charismatique entre le leader et le peuple, le but étant la prise du pouvoir et l’endoctrinement des masses. Rappelons les drames du 20e s. : le nazisme et ses conséquences, 60 millions de morts, les dérives des marxismes, 220 millions de morts pour le stalinisme et le maoïsme, du moins d’après les démographes dissidents.

Méfions-nous, semble penser Ambiorix, la « pseudodémocratie » n’est qu’une tyrannie pervertie par l’éloquence des tribuns.

Tirant a une autre dimension, il lutte pour la liberté individuelle, son combat vise la suppression des formes d’aliénation juridique qui s’opposaient à cette liberté : esclavage, servage, corporations médiévales…, il est l’archétype de la classe populaire.

859204179.jpgTirant, c’est l’archer (voir lithographie Ed.Thémon-Dessy – Archives de la Ville d’Ath). Il avait été longtemps auréolé de gloire depuis Azincourt en 1415. En moins de trois heures, l’archerie anglaise d’Henri V avait balayé la cavalerie française de Charles VI – 10.000 morts sur les 30.000 combattants français. Rapidement, des confréries d’archers s’étaient constituées dans les villes. Dès le début du XVe s., on dénombrait dans notre cité, quatre serments d’archers organisés en compagnies de milices populaires. Ainsi les confrères de Saint Sébastien, qui s’intitulaient « le grand serment des archers », s’incarnaient dans la figure emblématique du géant Tirant. Faut-il s’étonner qu’une centaine de tirants accompagnaient Goliath lors de la procession. Mais l’armement évolua, les stratégies de combats changèrent, le prestige de l’archer s’étiola… Tirant, le premier défenseur des remparts de la ville, fut au fil du temps « disqualifié ».

Tirant est remplacé par Ambiorix en 1854, très exactement. Référons-nous pour cela aux extraits de l’Histoire de la ducasse par Henri Delcourt (1836 – 1910) dont les chroniques patoisantes parurent dans l’Echo de la Dendre dès 1902 ; ses textes s’appuyaient sur les travaux de E. Fourdin, archiviste de la ville (1817 – 1887) ; ces lettrés vécurent personnellement les évènements de 1854. Même raisonnement chez J. Dewert, Histoire de la ville d’Ath, publiée en 1903 ainsi que chez C.G. Bertrand en 1905.

1854, imaginons l’ambiance dans le nationalisme naissant de la Belgique unie. Partout des manifestations patriotiques… La visite du Roi est annoncée. Que faire ? Rénover le cortège, introduire les mythes belges pour plaire au souverain… Ambiorix, le héros de la Gaule Belgique est préféré à Tirant le local, le démodé. A la hâte, on dépouille Tirant de ses hardes, on remanie son faciès et on accueille Ambiorix. Même tête de tilleul, certes, mais autre géant et autre symbole. Si les exégètes de la cité ou les histrions pour le troquet du coin nient l’évidence, de grâce, respectons la vérité historique.

Tirant avait une dimension exceptionnelle, il combattit, certes, pour la folie du Prince, mais il revendiqua en contrepartie des libertés pour les manants, les manouvriers agricoles, les artisans des corporations… (voir les armoiries de la ville : croix perronnée – croix de franchise, symbolisant les privilèges communaux).

Aujourd’hui, il représente toujours les ouvriers, les employés, les classes moyennes, il est le citoyen lambda c’est à dire nous. Finalement Tirant, c’est le chic type. Il sait travailler, s’amuser, particulièrement en période de ducasse. Nous avons tous en nous « l’esprit Tirant ».

Actuellement, le pays agonise, l’implosion de l’Etat menace. La 7e réforme de l’Etat sera peut-être fatale, il faudra pour les « Walha », de vrais combattants pour défendre leurs droits. Nous avons eu des exemples, Goliath et Ambiorix, résistants baroudeurs, Tirant, « l’homo democratus » initiateur de la justice sociale.

Tous les trois expriment ce que le sociologue Max Weber appelle les « types idéaux » d’une société…, ceux qui, par l’action, dégagent les valeurs fondamentales de l’existence humaine : vérité, justice, beauté, amour de la liberté.

Mais un problème risque de se poser. Qui placerons-nous au cœur de l’écu de nos armoiries pour remplacer le lion des Flandres ? Goliath, bien évidemment, car il a une devise éternelle : « Je n’su nieu cô mort ».

Et il pense à raison qu’ « Ath es bâti su roc. I n’da nieu qui sei va qui n’ratrotte ».

Lucien Cordier 

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