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Ducasse d'Ath: Le coup de gueule de l'historien Athois qui titre : Nos géants coronavirés…

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3290211523.jpgLes Athois devront donc se résigner à ne pas voir leurs géants danser cette année sur le pavé de leur bonne ville. Eu égard au contexte pandémique, le gouvernement a interdit les manifestations populeuses estivales. Il aurait évidemment été incivique et légalement impossible qu’Ath fasse de la résistance, même si les épidémies, récurrentes dans le passé, n’ont jamais interrompu la tradition, du moins à notre connaissance. Comme le montre un excellent article de Jean-Pierre Ducastelle paru dans la dernière livraison du Bulletin du cercle royal d’histoire et d’archéologie, seules les guerres ont eu raison de la ducasse et lui ont imposé des éclipses. 

Toutefois, il aurait été réconfortant que, comme à Mons lors du Doudou ou à Bruxelles pour la Fête Nationale, une mise en scène symbolique d’éléments majeurs de notre fête annuelle fût assurée, à la fois pour manifester la continuité de la tradition et pour mettre du baume au cœur des Athois ! Les autorités communales semblèrent dans un premier temps s’accorder sur le fait que la ducasse, sans être « annulée » (le mot n’a jamais été employé), ne pouvait être organisée avec son ampleur coutumière mais devait se vivre « autrement ». Selon moi, cet « autrement » impliquait, a minima, la sonnerie de la grosse cloche Julienne, une célébration restreinte des vêpres Gouyasse, le combat de David contre Goliath, fût-il confiné, et la présence, même d’une manière passive voire intangible, des autres géants dans la cité. Sans compter, cela va de soi, la tarte à mastelles jusqu’à pa djèr les oréyes

Tout avait bien commencé. Du 15 juin au 7 juillet, trois réunions furent organisées par la Ville et la Maison des géants, réunissant, dans un esprit de dialogue franc et ouvert, les représentants des porteurs, des autorités communales, de Rénovation du cortège, le doyen Nys, les historiens de notre folklore…  Tout en regrettant qu’on ait très inélégamment oublié de convier les fanfares – acteurs essentiels de la ducasse –, je m’étais réjoui de la tournure participative que le Bourgmestre avait imprimée à la concertation. Il me paraissait persuadé, lui aussi, qu’il fallait absolument, sur le plan du symbole, faire au moins aussi bien qu’à Mons. Au soir du 15 juin, un communiqué de la Ville annonçait que « différentes réflexions étaient en cours pour rendre hommage et témoigner de manière symbolique le respect à notre beau folklore, le 4ème week-end d’août, aux dates traditionnelles de notre Ducasse ». Vœu pieux qui restera lettre morte…

3716431561_2.jpgAprès maints échanges nourris et sainement contradictoires, le « conclave » de nos experts ès ducasse en arriva le 7 juillet à un consensus qui respectait les précautions sanitaires prônées par l’État et sauvegardait le rendez-vous pluriséculaire de la population avec ses géants : la semaine précédant la ducasse, ceux-ci auraient été exposés dans « leur » Maison de la rue de Pintamont (à l’exception du Cheval Bayard, visible au hangar des Primevères). Le public soigneusement contingenté aurait eu, comme chaque année, l’occasion de leur rendre visite, les enfants auraient pu leur témoigner des tonnes d’affection… à distance ; c’était une proposition avisée de Laurent Dubuisson, qui permettait à la Maison des géants de jouer pleinement son rôle de sanctuaire de la mémoire et de laboratoire de la vie sans cesse évolutive de notre folklore. Les vêpres auraient eu lieu sur un mode mineur, confidentiel, en l’église Saint-Julien fermée ; sous les caméras de Notélé, le Doyen aurait célébré nos valeurs avec la profondeur et l’humour qu’on attend de lui ; le grand saint de Brioude aurait béni la cité, qui en a bien besoin. Le combat se serait déroulé en lieu clos, à la Maison des géants, retransmis en direct par notre télévision régionale, qui se montrait enthousiaste et prête à mettre encore une fois les talents de son équipe au service de notre folklore ; en cas de victoire de David (dont on ne pouvait douter), le Grand Gouyasse aurait fait vibrer tous les Athois devant leur écran. Le Bourgmestre, depuis l’Hôtel de Ville, se serait enfin adressé à ses concitoyens, pour louer leur cohésion devant l’adversité, saluer le courage de nos « héros » au front de la lutte contre la maladie, souhaiter à tous les Athois une bonne ducasse « autrement » – en invitant chacun à la vivre de manière responsable –, et les convier à savourer la tarte Gouyasse mouillée d’une divine lampée de Bourgogne. Bon Dieu, comme cela aurait été parfait ! Le petit berger David aurait vécu le moment qui hantait ses rêves depuis des mois. Les Athois auraient pu combler le vide d’une ducasse sans cortège en communiant tout de même aux géants présents au cœur de la cité.

971784428.jpgLas… Une semaine plus tard, sans autre forme de communication aux participants à ces réunions si positives, la Ville informait ex abrupto : « Le Bourgmestre, entouré des représentants des services de sécurité et des services communaux, a examiné ces propositions. Il a été décidé qu’aucun événement particulier ne serait organisé le quatrième week-end d’août. En effet, il apparaît qu’il existe des risques importants pour que tout événement, même à huis-clos, entraîne des rassemblements de foule. Dans le cadre de la pandémie de Covid, l’autorité communale et les services d’ordre ne souhaitent prendre aucun risque pour la population. »

Pour ma part, je me sens profondément heurté, indigné, humilié par cet acte autoritaire qui émane manifestement surtout du trinôme bourgmestre, directeur général, police. Pour parler franchement, j’éprouve le sentiment qu’on s’est moqué de tous ceux à qui on a fait croire à une réflexion ouverte à tous les possibles. La messe était dite dès avant l’introït. Mais n’est-ce pas le lot des « professionnels du pouvoir » de constamment agir masqués ? D’entrée de jeu, le directeur général avait plaidé avec insistance pour une option ultra-minimaliste. Pour lui, qui protestait d’un amour irrépressible de notre tradition, une ducasse « autrement » devait être une ducasse « zéro géants ». Je constate que c’est bien cette option qui s’est imposée en dépit du consensus dégagé en faveur d’une formule alliant le souci de la continuité aux exigences sanitaires et sécuritaires. En même temps, on a fait preuve d’un manque de confiance désolant envers la population athoise, particulièrement envers les jeunes, en ne misant pas sur notre capacité à faire preuve de la mesure et du sens des responsabilités que requièrent les circonstances calamiteuses. Le sang picard serait-il un sang rebelle qu’il convient à tout prix de juguler ?

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Voilà une illustration locale de la psychose déraisonnable qui s’est emparée de la planète face à l’épidémie. Les « experts » – désignés par qui et rémunérés comment, on aimerait le savoir ! – relayés par la répression policière ont pris le pouvoir, avec l’aval soulagé des politiciens qui cherchent surtout à se mettre à couvert. On impose des stratégies hyper-prophylactiques qui attentent à nos libertés individuelles, avec, hélas, notre consentement moutonnier. Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas pour moi d’adhérer au jemenfoutisme irresponsable d’un Donald Trump – dont le grand-père Frédéric fut pourtant fauché à l’âge de 49 ans en 1918 par la grippe espagnole – ni aux dénégations musclées et provocatrices d’un Bolsonaro, encore moins aux théories complotistes stupides qui fleurissent ici et là. Et je sais la souffrance de ceux qui ont été frappés par la forme extrême de la maladie, le courage de leurs soignants, le deuil innommable des familles qui ont perdu un être cher… Le coronavirus est un ennemi bien réel et redoutable que nous devons affronter avec civisme et lucidité. Mais sans mettre pour autant entre parenthèses nos libertés et notre vie sociale. Dans un pamphlet bien senti, Bernard-Henri Lévy (Ce virus qui rend fou, Paris, Grasset) – un auteur que, d’ordinaire, je n’apprécie que très modérément (c’est un euphémisme) mais que, pour le coup, je conseille à tous de lire – souligne bien en quoi l’hystérie sécuritaire qui s’est emparée des médias et des officines politiques absolutise le « contrat vital » au détriment du « contrat social » (alors que les deux doivent aller de pair) et menace les fondements démocratiques de notre société. Le masque généralisé est, par exemple, brutalement contraire à cette essentielle « culture du visage » qui justifie notre refus des burkas et des niqabs. Sans doute est-il provisoirement nécessaire (mais, s’il vous plaît, pas dans des rues vides, fussent-elles dans « « l’intra-muros périmétré par ses boulevards et autres voiries longés selon le cas par la Dendre, etc.). De là à prédire pour demain son usage banalisé comme le font d’aucuns… Cela fait froid dans le dos.

Dans plusieurs communiqués et courriers, le Bourgmestre a fait peser sur les ducasseux potentiels qui contreviendraient aux ukases communaux la menace de représailles policières et d’amendes ruineuses. Nous y voilà ! Quand on n’ose pas faire confiance à ses concitoyens, on ne peut qu’avoir recours à la matraque, mais le risque est grand de provoquer ce que l’on veut éviter. J’espère que notre ville ne se transformera pas au temps de la ducasse en citadelle fliquée et qu’elle ne sera pas le théâtre de tensions qui iraient à l’encontre même de l’esprit de cohésion et d’amitié qui a toujours présidé à ce grand moment où nous célébrons notre identité. De grâce, que la maréchaussée, certes peu habituée à l’exercice, fasse preuve de discernement ! Et que les plus passionnés des Athois ne traduisent leur nostalgie que dans la sérénité joyeuse et la dignité.

Les autorités athoises, imitant servilement la rhétorique gouvernementale, arguent que la santé des habitants est à leurs yeux une priorité absolue. Étrange affirmation, s’agissant d’une ville aux portes de laquelle subsiste le problème de la présence de deux usines potentiellement très dangereuses. Sur un mode plus badin, j’ose suggérer que si la santé était une préoccupation à ce point primordiale pour nos édiles, ils auraient dû se battre avec la dernière énergie contre l’ouverture récente en notre bon vieux terroir gastronomique d’un temple de la malbouffe exporté d’Outre-Atlantique. Plus sérieusement, la santé d’une population, ce n’est pas seulement l’absence de maladie, c’est aussi sa santé économique, sa santé mentale, sa santé culturelle, sa santé sociale et citoyenne… Je tiens que les rigueurs démesurément prophylactiques auront des conséquences sur notre santé « globale » bien plus dommageables que le virus lui-même. Le catastrophisme nocif et lourd de menaces sociétales (dérives autoritaires, massacre aveugle de pans entiers de l’activité économique, pénalisation des plus défavorisés,  etc.) auquel cèdent la plupart des États a été dénoncé par des scientifiques de très haut vol, comme Bernardino Fantini, de l’Université de Genève, le meilleur connaisseur de l’histoire mondiale des épidémies, ou Bernard Rentier, virologue et ex-recteur de l’Université de Liège, dont – face à la prétendue deuxième vague actuelle – l’appel à examiner l’évolution du taux de positivité (c.-à-d. du pourcentage de personnes infectées par rapport à celles testées) plutôt que celle du nombre absolu d’infections vient enfin d’être timidement entendu.

En 1919,  la grippe dite espagnole (au moins 40 millions de morts à l’échelle mondiale) n’a pas empêché notre cortège, revisité pour exalter la patrie victorieuse, de sortir au mois d’août ; en 1958, alors que la grippe asiatique (1956-1958, 2 millions de morts) touchait notamment les femmes enceintes, on fit la fête tous les jours, d’avril à octobre, à la « Belgique Joyeuse », dans le cadre de l’Expo Universelle de Bruxelles ; en 1968-1970, la pandémie de la grippe de Hong Kong (1 à 2 millions de morts aussi, dont plus de 30 000 en France) fut traitée avec une incroyable légèreté par les médias et les pouvoirs publics… Certes, pareille insouciance n’est pas un modèle à reproduire. Mais l’angoisse abusive et la chape de plomb dont on nous accable révèleront à terme leurs limites et leurs effets néfastes.  Les trois pandémies du 20e siècle ont duré chacune de deux à trois ans. Il en sera probablement de même du covid-19 (arrêtons d’honorer ce machin funeste d’une majuscule !). Nous résignerons-nous derechef à ne pas voir nos géants en 2021 ?

On l’aura compris : je regrette vivement l’option ultra-minimaliste de la Ville d’Ath et je suis fâché de son attitude cavalière envers les acteurs du folklore et les personnes ressources dont elle avait sollicité l’avis. Une consolation : en restant cette année claquemuré dans son hangar, Goliath n’aura pas le déplaisir de voir les rues de sa ville envahies d’herbes folles et meurtries de pavés déchaussés…

Christian Cannuyer

 

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