La ducasse d’Ath est un joyau du folklore wallon dont l’histoire est maintenant bien connue et documentée, grâce aux travaux de plusieurs générations de chercheurs
locaux1. Cependant des pans importants de son passé restent méconnus. Chaque année apporte ainsi son lot de découvertes, petites ou grandes, qui contribuent à combler les
lacunes de notre information. Il en va ainsi de l’étude de Jean-Marc Depluvrez publiée dans ce Bulletin, qui révèle que, pour partie au moins, les paroles du Grand Gouyasse
sont plus anciennes que nous ne le pensions (cf. ci-dessus, p. 192). Concernant précisément le Grand Gouyasse, ce petit article 2 voudrait apporter sa pierre à la question jusqu’ici non résolue des origines de l’air sur lequel Monsieur et Madame Goliath exécutent leur danse rituelle. L’air du Grand Gouyasse est attesté implicitement depuis 18443. La partition jouée actuellement remonterait à une harmonisation du carillonneur athois Quentin Hoyost (1793-1872), premier directeur de l’Académie de musique d’Ath, dont l’original semble hélas perdu, arrangée pour le piano par Léon Jouret. Plusieurs hypothèses ont été émises sur ses origines. D’aucuns l’on fait remonter au Moyen Âge finissant ou plus précisément à l’époque bourguignonne6. Cela semble sans fondement réel. L’air du Grand Gouyasse a, selon toute vraisemblance, été adopté par les Athois après que ceux-ci eurent donné femme à Goliath, en 1715. Il doit donc s’agir d’une composition du XVIIIe siècle. J’ai, pour ma part, notamment dans le cadre de conférences, souvent exprimé mon sentiment qu’il s’agissait typiquement d’une « Allemande ». Je rejoignais en cela René Brismer, qui soulignait que l’« Allemande lente » écrite en 3/8 ou en 6/8 et parfois appelée « amoureuse » dans nos régions, était une danse imitant les brigues d’amants faites de rapprochements, d’accords, de séparations, de bouderies, et enfin d’une réconciliation scellée par un baiser8… Et Brismer de faire remarquer que c’est à ce jeu amoureux que semblent bien se livrer Monsieur et Madame Goliath lorsqu’ils dansent leur air traditionnel.
Des Athois rapportent régulièrement avoir entendu des pièces musicales fort semblables lors d’un voyage à l’étranger, à la radio ou à la télévision. Mais aucun document tangible et probant n’a jamais été apporté à l’appui de ces assertions dès lors incontrôlables. Moi-même, dans le reportage télévisé d’un voyage officiel du roi Baudouin et de la reine Fabiola en Hongrie, j’ai cru percevoir quelques mesures très proches de l’air athois jouées au carillon de l’abbaye de Tihany, sur le lac Balaton. Je me propose d’ailleurs, à l’occasion d’un voyage en Hongrie prévu cet été, de me renseigner sur les morceaux du répertoire de ce carillon pour tenter de vérifier cette impression fugace. Or, voici quelque temps, un ami athois fervent mélomane, Monsieur Jacques Lesceux, m’a affirmé avoir repéré l’air de Gouyasse dans une oeuvre de… Mozart, en l’occurrence l’opus K. 57112. Sans trop y croire, je me suis mis en peine de contrôler les dires de ce bon camarade.
Et, à ma grande surprise, le rapprochement est on ne peut plus pertinent. Non que tout le Grand Gouyasse se retrouve dans cette composition, mais on y entend bien quatre mesures presque identiques au début de la seconde partie de la danse athoise.
K. 571 est un ensemble de six danses « allemandes » composé par Wolfgang Amadeus Mozart en février 1789, à l’automne donc de sa courte existence. Le passage
qui a fait se dresser l’oreille athoise de Jacques Lesceux correspond aux quatres premières mesures du trio de la seconde danse. Le lecteur qui voudra en faire la vérification se reportera par exemple à l’enregistrement disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=vQ6aQBBDqb0, très exactement à la 27e seconde. Il se rendra compte que c’est sans appel : ces quatre mesures sont d’une incontestable proximité avec les mesures 17-19 du Grand Gouyasse. L’analogie est encore plus frappante quand on compare avec l’air du Grand Gouyasse enregistré sur youtube par le trio de la famille Hertsens
(Pascale Hertsens au violoncelle, Marie Hertsens au violon-alto, et Raphael Hertsens, au hautbois) sur https://www.youtube.com/watch?v=SR5urkwMQR0 (à partir de 1’ 04’’). Cela ne peut être le fruit d’un simple hasard. Si dans un procès actuel, tel qu’il y en a beaucoup entre artistes, les deux séquences musicales étaient portées devant un tribunal, celui-ci conclurait à un plagiat.